mardi 25 janvier 2011

Et si l’on réquisitionnait l’empire immobilier de Ben Ali à Paris ?

Jack Dion s'interroge sur l'attitude de la France à l'égard du clan Ben Ali, et plus généralement de certains dictateurs. Après s'être aveuglée sur le régime tunisien, accueilli l'exil pendant 25 ans de Jean-Claude Duvalier, va-t-elle fermer les yeux sur le confortable patrimoine accumulé par Ben Ali, alors qu'elle pourrait le réquisitionner ?

On peut comprendre que les Tunisiens aient quelque difficulté à saisir les virages successifs de la diplomatie française à l’égard de leur révolution. Lors de sa conférence de presse, au prix de contorsions verbales qui témoignent de son embarras, Nicolas Sarkozy s’est livré à un exercice périlleux en invoquant la « non ingérence », nouvelle vertu cardinale de la France.

Dans ce cas, il faut rapatrier au plus vite nos soldats d’Afghanistan, quitter la structure de commandement de l’Otan, qui est le modèle par excellence de la machine à s’ingérer, et ne pas chercher des poux dans la tête de Hu Jintao, le président chinois, à propos du Tibet. Passons. Tout cela n’est pas sérieux, et le prestige de la France dans le monde ne sortira pas grandi de cet épisode funeste.

Il y aurait un moyen symbolique de limiter les dégâts. Il suffirait de réquisitionner les biens de la famille Ben Ali en France, et de les mettre sous séquestre avant de les restituer aux futures autorités tunisiennes, qui pourront ensuite en faire ce qu’elles voudront.

Libération a détaillé trois beaux morceaux du patrimoine de l’ancien président. Il y a un hôtel particulier situé 17 rue Le Sueur (XVIème arrondissement), et qui appartient à Nesrine, la quatrième fille de la célèbre famille. Il faut y ajouter un somptueux appartement 16 place des Etats-Unis (XVIème arrondissement), propriété des frères Mabrouk, tous liés au clan Ben Ali. Enfin, au 18 avenue Elisée-Reclus (VIIème) se trouve l’appartement des Taïbi, présentés comme un « sous clan » de celui qui est à la Tunisie ce que Ceaucescu fut à la Roumanie.

Voici peu, le porte-parole du gouvernement, François Baroin, avait affirmé que la France se tenait « à la disposition des autorités constitutionnelles tunisiennes » pour examiner le sort des biens immobiliers du président tunisien déchu. Il serait bien de ne pas en rester au stade des paroles verbales et de passer aux actes. Le droit de réquisition existe. Pourquoi ne pas l’appliquer dans ce cas précis, et au plus vite ?

Evoquant la révolte qui a balayé la Tunisie, lors de sa conférence de presse, Nicolas Sarkozy a eu cette phrase : « Nous n’avions pas pris la mesure ». Voilà un très bon moyen de la prendre.

Le message serait d’autant plus pertinent que la France a souvent su se montrer fort compréhensive avec certains dictateurs. Le dernier exemple en date est celui de Jean-Claude Duvalier, alias Baby Doc, qui est rentré en Haïti après avoir passé 25 ans en France, sans jamais avoir été inquiété par la justice. 

Baby Doc avait atterri à Grenoble le 7 février 1986. La gauche et la droite l’ont laissé vaquer à ses occupations en toute tranquillité. L’ex dictateur a écumé les grandes villes de France et de Navarre, en se livrant à des frasques bien vite oubliées grâce à un carnet d’adresse aussi fourni que ses comptes en banque. Le clan Ben Ali va-t-il bénéficier des mêmes complicités ?

Certes, Zine El Abidine Ben Ali n’est pas en France. Pour l’heure, il est réfugié en Arabie Saoudite. On s’étonne cependant qu’aucune voix ne s’élève pour s’étonner que les autorités d’un pays ami des Etats-Unis le laissent libre de ses mouvements, comme s’il était en villégiature.

Serait-il incongru d’exiger l’arrestation de l’ancien dictateur tunisien afin qu’il puisse rendre des comptes à la justice de son pays ? Va-t-on laisser tous les membres de cette (grande) famille s'éparpiller aux quatre coins du monde, à l’image de l’un des frères de l’épouse de Ben Ali, qui vient de débarquer avec les siens à Montréal, où il possède une villa cossue dans le quartier huppé de Westmount, achetée il y a deux ans ?

En ce moment, parmi les manifestants qui défilent à Tunis devant le palais du Premier ministre, on entend ce cri : « La Kasbah, c’est la Bastille de la Tunisie, et on va la démonter, comme les sans-culottes ont fait tomber la Bastille en 1789 ». Montrons leur que la France de 2011 n’est pas totalement indigne de celle de 1789.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire